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mot de l'arrq | 7 MAI 2019

Crise à Téléfilm Canada.  Le cinéma québécois comme première victime


Téléfilm Canada vient de congédier manu militari trois de ses directeurs, nommément Michel Pradier, directeur du financement et des projets, Roxane Girard, directrice des relations d’affaires et des coproductions et Denis Pion, directeur des services administratifs et corporatifs. Les raisons de ces congédiements n’ont pas été annoncées par l’organisme, mais elles arrivent dans la foulée d’une crise de financement appréhendée qui touche particulièrement le cinéma francophone et cela laisse croire que la directrice générale Christa Dickenson aurait voulu faire porter le chapeau de cette crise à ces trois directeurs au parcours jusque là sans faute. L’AQPM n’a d’ailleurs pas tardé à dénoncer cette manœuvre en faisant valoir que les producteurs de cinéma du Québec avaient toujours entretenu des relations harmonieuses avec eux.

Pendant le mandat de la directrice générale précédente et sous la gouverne des trois directeurs en question, le cinéma québécois a non seulement brillé sur la scène nationale et internationale, mais est parvenu à augmenter ses parts de marché. C’est toujours le cas aujourd’hui alors que ce sont des films québécois qui nous représentent à Cannes et qui dominent le box-office canadien. Ce n’est pas rien, étant donné qu’il a sans doute fallu faire des acrobaties budgétaires chez Téléfilm pour parvenir à financer le nombre toujours croissant de demandeurs du côté francophone, limité par la règle du partage budgétaire 1/3 francophone – 2/3 anglophone. L’institution fédérale a souvent gratté les fonds de tiroirs et « emprunté » sur des budgets des années subséquentes pour compléter adéquatement des budgets de films ayant déjà obtenu le feu vert d’autres institutions, dont la SODEC. Tout cela sans voir ses propres crédits budgétaires augmentés par Patrimoine canadien pendant le règne des Conservateurs et ne bénéficiant que d’un relativement modeste apport de 55 millions sur cinq ans avec l’arrivée des Libéraux. Pendant ce temps, le Conseil des Arts en obtenait dix fois plus. Je cite ces chiffres à titre purement comparatif et sans vouloir remettre en cause le financement du Conseil des Arts. Mais il faut bien reconnaître que, pour qui veut soutenir une industrie cinématographique, les crédits accordés à Téléfilm étaient largement insuffisants pour rattraper le retard, surtout que ces sommes devaient être affectées à l’ensemble des programmes de Téléfilm, ce qui en laissait peu pour la production comme telle.

Malgré toute la bonne volonté des directeurs aujourd’hui honnis, on ne peut constamment pelleter le problème en avant. Tôt ou tard on frappe un mur et il semble qu’on soit arrivé à son pied. Le journaliste André Duchesne de La Presse a révélé en primeur que l’enveloppe budgétaire de Téléfilm 2018-2019 était entièrement dépensée tandis que celle de 2019-2020 était fortement grevée. Si bien qu’on peut s’attendre à ce qu’il n’y ait qu’un ou deux films à petit budget qui puissent être financés au volet sélectif et qu’on ait réduit à quatre les films financés au volet accéléré. Et ce, alors que les décisions de financement de la SODEC vont sortir dans dix jours et qu’une majorité de projets de films ne pourront compléter leurs budgets.

Il y a déjà quelques mois que les producteurs québécois font des démarches auprès de Téléfilm, en particulier auprès de sa directrice générale, pour qu’elle trouve une solution à l’impasse budgétaire. Celle-ci avait promis des réponses et on l’attendait impatiemment au congrès de l’AQPM la semaine dernière.  Malheureusement, elle s’est absentée à la dernière minute pour des « raisons familiales » et elle a délégué à sa place Michel Pradier, celui-là même qui se retrouve aujourd’hui sans emploi, qui a hérité de l’odieux d’annoncer qu’il n’y aurait pas de financement supplémentaire. Inutile de dire que l’assistance a été passablement refroidie et que madame Dickenson, brillant par son absence, n’a pas gagné en popularité. Comme elle est issue du milieu anglophone et que la crise affecte tout particulièrement le cinéma francophone, on commence à chuchoter qu’elle n’aurait pas la même sensibilité pour notre cinéma que sa prédécesseure Carolle Brabant. Il serait malheureux que le manque d’argent à Téléfilm Canada crée une fracture dans l’industrie cinématographique canadienne sur une base linguistique. Ce n’est pas le leadership rassembleur qu’on attend de la haute direction d’une institution fédérale. On voudrait voir la directrice générale cogner inlassablement à la porte du ministère du Patrimoine canadien pour aller chercher un financement additionnel qui profiterait à l’ensemble de l’industrie canadienne.

Si la directrice générale de Téléfilm Canada considère que l’annonce du congédiement des trois directeurs constitue sa réponse à la crise, elle se trompe. Car c’est maintenant tout le milieu du cinéma francophone qui se mobilise, tant pour obtenir des réponses sur la crise de financement à l’interne, que pour demander au ministre du Patrimoine canadien Pablo Rodriguez d’accorder d’urgence de nouveaux crédits à Téléfilm Canada. Pour l’instant, le ministre semble appuyer du bout des lèvres la décision de la haute direction. Mais le problème reste entier et ce serait pour lui une belle occasion de gagner des appuis au Québec en dénouant une crise purement financière. Car peut-on vraiment attribuer la responsabilité de cette crise à ces trois individus ? Le véritable coupable c’est le sous-financement.

L’ARRQ sera bien entendu de la partie avec ses partenaires de l’industrie cinématographique pour continuer encore et encore à revendiquer plus de financement pour notre cinéma francophone. Il en va de nos emplois et de la survie de notre culture.

-- Gabriel Pelletier, président ARRQ

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